La femme visible: le rôle des femmes dans les archives des musées français

18 maig, 2021 - Véronique Reuter chargée d’études documentaires, Centre de recherche et de restauration des musées de France, Paris

Les archives des musées français révèlent le rôle important joué par des femmes dans le domaine de la conservation du patrimoine et de la restauration des oeuvres d’art. De plus les femmes archivistes sont nombreuses dans les services d’archives des musées français

Le métier d’archiviste dans les musées français

Tout d’abord, nous allons présenter le métier d’archiviste dans les musées français. Chaque grand musée français a son service d’archives. C’est par exemple le cas du musée du Louvre, du musée d’Orsay, du musée du quai Branly, du musée d’archéologie nationale, du musée Gustave Moreau, du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, du musée des arts décoratifs, du musée de Malmaison, du musée Picasso, du musée national du château de Fontainebleau. Le service d’archives est souvent associé au service de documentation et à la bibliothèque et il peut arriver qu’une seule personne soit chargée à la fois des archives, de la documentation et de la bibliothèque dans les musées les plus petits.

Dans les années 2020, en France, le métier d’archiviste est une profession à forte représentation féminine. Les femmes archivistes sont également nombreuses dans les musées.  A titre d’exemple, le réseau “Archives en musées” animé par le ministère de la Culture compte 138 membres, dont 121 sont des femmes.

Cependant, il existe aujourd’hui peu d’études en France sur la situation et le travail des femmes archivistes. Il faut souligner l’existence de l’étude de Lili Willefert qui a rédigé un master en 2013 intitulé La féminisation des professions de la documentation et du patrimoine : les femmes archivistes (1906-1990). Son travail est consultable en ligne.

Elle met en évidence la forte représentation des femmes dans les services d’archives tout au long du XXe siècle, grâce à l’étude des dossiers des étudiants de l’École des Chartes. L’École des Chartes a été fondée en 1821. C’est l’école de formation des archivistes en France la plus ancienne. Elle forme notamment les conservateurs du patrimoine chargés des archives. La première élève femme rentre à l’École des Chartes en 1906. Au fil des années, au XXe siècle, les élèves femmes sont devenues de plus en plus nombreuses à l’École des Chartes. Elles sont majoritaires aujourd’hui, ce qui explique la forte représentation féminine dans le corps des conservateurs du patrimoine chargés des archives, même si, bien sûr, il existe d’autres formations aux métiers des archives.

Les archives des musées français

Les musées français conservent leurs archives courantes et intermédiaires. La plupart des archives historiques sont conservées aux Archives nationales. Vous pouvez connaître l’activité de plusieurs services d’archives de musées français grâce aux statistiques des organismes publics publiées sur le site de France Archives depuis 2010.

Les archives des musées nationaux, à partir de 1792, peuvent être consultées aux Archives nationales. Il s’agit d’inventaires des collections, de dossiers du personnel, de registres sur le travail des artistes et des copistes, de documents sur les commandes et acquisitions, propositions d’acquisitions non acceptées ou sans suite, dons et legs acceptés ou non acceptés, prêts aux expositions, aliénations, vols,  pertes ou de restitutions, restaurations et  réparations, de dossiers d’artistes.

Les archives des musées nationaux ont rejoint les Archives nationales, sur le site de Pierrefitte-sur-Seine, en 2015 : soit 1,5 km linéaires. Cette fiche d’aide à la recherche conçue par les Archives nationales permet d’identifier les différents fonds d’archives concernant les musées nationaux.

Ce second guide répertorie les sources relatives aux musées et aux expositions conservées aux Archives nationales, à partir de 1628 et jusqu’en 2015.

FRAN_0238_0420 Clichés divers, archives des musées nationaux, Archives nationales, cote 20144792/251

Les archives des musées nationaux permettent de documenter diverses facettes de la gestion et de l’histoire des musées nationaux, concernant l’administration centrale (instances collégiales, inventaires de collections, personnel, comptabilité, laboratoires de recherche et de restauration) et la vie des musées. On y trouve également les archives historiques d’institutions majeures liées aux musées, telles que la Réunion des musées nationaux ou l’École du Louvre, école de formation des futurs professionnels de musées (conservateurs, régisseurs d’œuvre, documentalistes). Ces très riches fonds des archives des musées nationaux complètent les fonds déjà versé.

Ces très riches fonds des archives des musées nationaux complètent les fonds déjà versés aux Archives nationales, tels que les archives de la division des Beaux-arts et du ministère de l’Instruction publique, les archives du Mobilier national, des écoles d’art et d’architecture ou des agences d’architecture, et les versements de la Direction des musées de France, de la Direction du patrimoine, de la Délégation aux arts plastiques, de la Direction de l’architecture, de la Réunion des musées nationaux. Les Archives nationales conservent également de nombreux très divers, provenant d’artistes, d’érudits, de collectionneurs ou de personnalités politiques, déposés au département des archives privées.  

Les femmes dans les archives des musées français: quelques figures emblématiques

Nous allons prendre quelques exemples illustrant la place des femmes dans les archives de musées français.

Les archives de Christiane Desroches-Noblécourt

Christiane Desroches-Noblécourt (1913-2011), conservatrice et directrice du département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre a donné ses archives aux Archives nationales françaises en 2015. Elles concernent la gestion du département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre sous la direction de Christiane Desroches-Noblecourt et sont conservées sous les cotes 20150308/1-20150308/667.

Dans ce fonds, on trouve des archives traitant des fouilles en Egypte, de la protection des sites nubiens, de la préparation de l’exposition “Toutankhâmon et son temps” en 1967 ou de son activité de professeur à l’Ecole du Louvre. 

Les archives de Rose Valland

Rose Antonia Maria Valland (1898-1980) était historienne de l’art, membre de la Résistance française et capitaine dans l’armée française. Elle a collaboré avec Jacques Jaujard, directeur du musée du Louvre en 1939. Celui-ci avait veillé à l’évacuation des œuvres du musée du Prado pendant la guerre civile espagnole et il organisa l’évacuation des œuvres du musée du Louvre à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, Rose Valland a participé à la récupération de près de 45 000 œuvres d’art volées par les nazis. Rose Valland tenait secrètement un inventaire précis des œuvres qui passaient par le musée du Jeu de Paume où elle travaillait et où elle tentait de découvrir leurs destinations. Après la guerre, elle s’est employée à organiser la récupération et la restitution des œuvres d’art volées. Ses archives sont conservées aux Archives nationales et au centre d’archives diplomatiques de La Courneuve du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Les Archives nationales conservent le recueil reconstitué des notes écrites par Rose Valland, attachée au Jeu de Paume à Jacques Jaujard, directeur des Musées nationaux entre le 14 mars 1941 et le 5 août 1944 (172 folio).

FRAN_0315_0032 Recueil (reconstitué) des notes de Rose Valland à Jacques Jaujard, janvier 1942, Archives nationales, cote 20144792/276

Le rôle fondamental des femmes dans les archives du Centre de recherche et de restauration des musées français 

Le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF, “Centre de recherche et de restauration des musées de France”) conserve les archives du laboratoire créé au Musée du Louvre dans les années 1930 et des services de restauration des œuvres à partir de 1935. En outre, la base de données EROS donne accès à près de 20 000 rapports pour chaque œuvre étudiée ou restaurée et à 300 000 images. Les rapports scientifiques et les images produits par de nombreuses femmes ingénieurs, conservatrices, photographes et restauratrices peuvent être consultés au C2RMF. Le C2RMF conserve également les dossiers du personnel, dont de nombreux dossiers de femmes.

Les archives de Madeleine Hours

Madeleine Hours (1913-2005) fut conservatrice et directrice du laboratoire des Musées de France à partir de 1949. Elle est la figure tutélaire de ce laboratoire, devenu en 1999, Centre de recherche et de restauration des musées de France. Le C2RMF conserve ses archives. Madeleine Hours a rédigé de nombreux rapports de laboratoire basés sur l’analyse d’images scientifiques produites en laboratoire.  Ils peuvent être consultés au C2RMF. Toutes ses archives montrent son intense activité de recherche et de transmission ainsi que l’activité du laboratoire, son fonctionnement et l’évolution du matériel scientifique. Le C2RMF conserve également les archives de Madeleine Hours relatives à son activité au sein de l’ICOM. On peut souligner le grand engagement de Madeleine Hours dans la vulgarisation de la recherche scientifique. Ses archives témoignent de la conception de programmes de télévision à partir de 1959. Ils traitent des techniques d’exploration scientifique des œuvres d’art et de la restauration des tableaux notamment dans la série “Les secrets des chefs-d’œuvre”.

Les archives de Jacqueline Marette 

Le C2RMF conserve également les archives de Jacqueline Marette. Elle a travaillé entre 1956 à 1968 dans l’atelier de restauration de tableaux du Louvre. Elle était experte en matière de supports et de cadres en bois et en toile. Le fonds d’archives se compose de rapports sur les supports en toile et en bois, de correspondance et d’échantillons de bois ou de toile.

Les archives de Gilberte Emile-Mâle

L’Institut national du Patrimoine (INP), l’institut français de formation des restaurateurs et conservateurs, conserve les archives de Gilberte Emile-Mâle (1912-2008).

Elle est une figure importante de l’histoire de la restauration du patrimoine en France. Elle était responsable de l’atelier de restauration des tableaux du musée du Louvre. Le fonds d’archives est constitué de correspondance, de textes de cours, de textes et de notes pour son projet sur l’histoire de la restauration des tableaux en France. Il est à noter que Gilberte Emile-Mâle avait un grand intérêt pour les archives. Dans ses propres archives, on peut trouver des notes sur les archives historiques. Elle s’est appuyée sur leur étude pour écrire son histoire de la restauration. 

Les dossiers du personnel du musée

Enfin, les dossiers du personnel des musées français nous permettent de connaître la situation des femmes dans les musées. Ces dossiers sont conservés dans les archives des musées ou aux Archives nationales. Ils montrent l’importance du rôle des femmes dans les musées. Elles sont gardiennes, conservatrices, secrétaires, guides, restauratrices, documentalistes, archivistes… La sociologue Odile Join-Lambert a étudié les dossiers du personnel des archives des musées nationaux des Archives nationales afin d’écrire son livre publié en 2020 Travailler au musée : Publics, gardiens et conservateurs du Louvre et du British Museum : regards croisés (1946-1981).

Pour conclure, les archives des musées français mettent en évidence l’action fondamentale des femmes dans le domaine de l’étude, de la conservation et de la restauration du patrimoine. Il est à noter que le C2RMF a le projet de promouvoir un projet de création d’archives orales et d’archives orales de femmes.

Selon moi, être une femme archiviste me permet d’approfondir mon intérêt très fort pour la transmission.  Peut-être pouvons-nous parler d’un “matrimoine” aussi bien que d’un “patrimoine”.

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